La Mort du toréro Ed Lacy Traduit de l'anglais (américain) par Roger Martin Éditions du Canoë
La Mort du toréro
Ed Lacy
Traduit de l'anglais (américain) par Roger Martin
Éditions du Canoë
Original, serré comme un café fort, magnétique, « La Mort du toréro » d’Ed Lacy est un roman noir, dont la carte majeure est celle d’une fine sociologie.
Engagé, aux multiples signaux, ce classique-né tisse avec habileté, une intrigue qui file à toute allure. Les diktats sociétaux et politiques dans les années 70 en Amérique et au Mexique sont tirés au cordeau. Rein n’est laissé au hasard.
D’emblée ce livre est une fierté éditoriale. Une référence dans la grande lignée des chefs d’œuvres de la littérature.
Ed Lacy est le nom de plume de Leonard Zinberg. Pour être publié en tant que tel, il a dû cacher son identité. Il était juif, non croyant, communiste et mariée à une noire.
Serait-ce le double de Toussaint Marcus Moore, la tête d’affiche de ce roman qui mêle avec brio, une histoire qui tire les débats à elle et sa vie personnelle ?
Ed Lacy, côté ville était un homme épris de justice. Ici, dans le vif de ce récit, on ressent son double cornélien. C’est en cela aussi, que ce livre est dévorant d’authenticité.
Toussaint Marcus Moore est un facteur. Quoi de plus ordinaire ? Il vit à New York avec sa femme Frances. Sans être un anti-héros, sa vie lisse semble en mimétisme avec l’époque. Ne pas faire de vagues. Il est noir et de suite dans une Amérique raciste et clivante, il risque d’emblée l’ensevelissement mental.
Ce protagoniste apprend que sa femme est enceinte. C’est un choc pour lui, une sidération.
« Toussaint s’interroge sur le fait d’avoir des enfants dans un monde -déjà- à la dérive. »
Il est réfléchi et lucide. Son éthique semble l’évocation d’un devoir envers et contre tout. Il va trouver fortuitement un deuxième travail. La précarité dévore le nid conjugal. Il va être missionné par un ami détective. Partir au Mexique, plus exactement à Acapulco et Mexico. Un journaliste spécialiste des corridas, vient de mourir. Un crime ?
Il va rencontrer sa femme, Grace. Une passionnée des serpents. Atypique, mais quelque peu fragile et fantasque. Elle est persuadée que son mari a été tué par l’emblématique toréro El Indio.
« Mon mari se passionnait pour la corrida, pour lui, elle représentait la quintessence de la grâce, le combat éternel de l’homme contre la mort. »
Juan est mort d’une morsure d’une vipère à tête noire. Que s’est-il passé ?
Le récit glisse sur les rebondissements, les réflexions politiques, historiques, et intuitives. On ressent un livre empreint de convictions. La tauromachie, plus qu’une institution, ici, est une mise en abîme symbolique.
« Je crus facilement Frank lorsqu’il m’expliqua que Mexico avait les plus grandes arènes du monde ; archipleines, elles retentissaient du bruit d’au moins 50 000 personnes. »
« La Mort du toréro » est implacable, ne cède rien aux compromis. Ici, entre la jubilation d’une trame trépidante et le constat amer d’un auteur qui sait le monde à la dérive. Entre le bien et le mal, les passions et les articulations psychologiques des personnages, « La Mort du toréro » est une arène où les traductions sont indéfectibles.
El Indio, l’ancien esclave tient sa revanche.
Ce livre presque charnel, fascinant, stimulant est dévorant dans cette immense force analytique. Ici, est le règne viril de deux contraires assemblés. El Indio et Toussaint Marcus Moore.
N’oublions pas, Jean Ferrat qui chante : « Ce n’est pas par plaisir que le toréro danse, c’est que l’Espagne a trop d’enfants pour les nourrir. »
À méditer. Traduit de l’anglais (américain) et préfacé par Roger Martin. Publié par les majeures Éditions du Canoë.
E. L.