Le soldat désaccordé Gilles Marchand Éditions Aux forges de Vulcain

Le soldat désaccordé

Gilles Marchand

Aux forges de Vulcain

En librairie

Merci  beaucoup aux Éditions Aux forges de Vulcain & David Meulemens pour l'envoi de ce roman magistral.

Mon avis :

Un trait d’union vaut bien un poème. Gilles Marchand.

Intègre, infiniment exemplaire et émouvant, « Le soldat désaccordé » est un hymne à la survivance. L’amour plus fort que la mort. Un livre de terre et de boue, de guerre, d’hommes et d’une femme. Entrelacs à feu et à sang, l’écriture est l’éclaircie, l’aube en advenir. Elle remet d’équerre, creuse dans les sillons, à mains nues, sans crainte aucune. Olympienne et digne, malgré l’ambiance si proche de nous encore. Gilles Marchand vit l’histoire. Habité par ce texte, sans lâcher prise à l’adversité. Il y a dans ses silences, une compassion indicible, une fraternité qui œuvre et qui apaise la trame. Ce livre résonne en universalité. La quête est exemplaire. C’est un livre de devoir, qui acclame la persévérance, la loyauté. Un roman valeureux, intense et bénéfique.

Le narrateur ( dont on ignore le nom, et sans doute il y a une raison ) travaille pour la réhabilitation des fusillés. Il recherche également les oubliés, les anonymes, les amnésiques et les dépouilles disparues. 1914, et ses fléaux, et lui, le narrateur, un bras en moins, jeté en pâture entre les balles, la faim et la soif, le froid et les peurs intestines.

« Les croix s’étendaient à l’infini. Et j’enquêtais, inlassablement. Durant toutes les années 20 et une bonne partie des années 30, j’ai fait ce drôle de boulot d’enquêteur. »

Il rencontre Madame Joplain qui affirme que son fils Émile Joplain est vivant. Deuil impossible ou foi en ses convictions .

Le narrateur va rassembler l’épars. Recoller les pans d’une guerre monstrueuse, marcher dans les pas d’Émile. Revoir les scènes de batailles, les bouleversements, Verdun en toile de fond. Madame Joplain lui cache le plus précieux : Lucie, une employée de maison qui aimait son fils. Cachée sous la poussière, rejetée car pauvre et Alsacienne. Cette mère castratrice refusait cet amour pour son fils, lui le poète des blés et des mots des soupirs et des désirs.

« Nous nous faisions face, dans le couloir. Les mots butaient sur ses lèvres, ses mains tremblaient, sa poitrine se soulevait, prise de hoquets. Il y avait bien la petite Lucie. Une Alsacienne. Mais c’était il y a longtemps, et elle ne l’intéressait plus. Laissez-là où elle est. »

Le récit traverse les mécanismes implacables, tenaces et sensibles, à portée de sentiments. Le narrateur dépasse l’enquête. Il devient le double d’Émile comme un exutoire, quelque chose à accomplir pour lui-même, une renaissance. L’enjeu de retrouver Émile Joplain et Lucie, traces indélébiles, à flanc de champ de bataille est pour lui comme une source où il pourra s’abreuver.

« C’est cette nuit-là qu’il m’a raconté son histoire d’amour. Une des dernières choses que j’ai entendues ».

On ressent une symbiose entre le narrateur et les protagonistes rencontrés dans ses déambulations. Il y a dans cette œuvre blessée dans sa chair la pureté et la gravité d’un théologal presque hors norme. C’est un livre qui devrait être lu à voix haute dans les classes lycéennes et plus. Les polyphonies sont des pas dans la neige, merveilleuses et approchantes de l’ultime issue de ce livre lumineux. « Mais ce jour-là Joplain et moi on était les rois du monde. »

« Le soldat désaccordé » est un livre de salut, le fronton des républiques des cœurs. Un livre d’amour. Une histoire d’humanité et de grandeur.

Prenez soin des pages finales et lisez-les aux vôtres.

« Qu’on fuirait les nations et qu’on aimerait les peuples. Qu’on vivrait de musique et de pain. L’univers et plus encore. »

Ce livre est comme une lettre que vous mettrez dans votre poche pour les jours sans. Magistral et humble.

Publié par les majeures Éditions Aux forges de Vulcain.