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L'élégancedeslivres
21 novembre 2022

De notre monde emporté Christian Astolfi Éditions Le bruit du monde

DE NOTRE MONDE EMPORTE | CULTURES OBLIQUES

De notre monde emporté

Christian Astolfi

Éditions Le bruit du monde

DE NOTRE MONDE EMPORTE | CULTURES OBLIQUES

Mon avis :

« De notre monde emporté » livre socle, l’exemplarité et la rectitude.

Il suffit de lire les premières pages pour comprendre l’heure cruciale. Être d’emblée en transmutation aux Chantiers navals de La Seyne-sur-Mer. L’écriture cède la place au vaste de ce récit éperdument sociétal et engagé.

La douceur du ton est un arrêt sur le mot et son symbole. Figer ce qui fût de ces hommes aguerris à l’effort, à la beauté même du travail bien fait, la glorification du travail. Sueur perlée sur le front, mains gercées, les heures longues d’un travail opératif.

Le narrateur est un jeune homme surnommé Narval par ses pairs, passeur des existences blessées et meurtries dans leur chair. Son père avant lui, ses collègues et amis, les Chantiers navals, le pictural du monde ouvrier. Bataille rangée dans l’action même, « je ne dirai jamais que je travaille aux Chantiers, mais que j’en suis. Comme on dit d’un pays, d’une région, avec sa frontière. » Des centaines d’hommes, fourmis en file indienne, vaillants et tenaces, régler, démonter, polir, subir, se serrer les coudes, la concorde et la connivence pour alliées. Un navire, des milliers d’heures de travail, sans même savoir le risque, l’amiante à cris et à flots, à mains et à souffles. Poumons pris en otage, ils ne devinent pas, pas encore, le flux de ce poison lent.

Puisque le temps est à la grève, à la reconversion, au lâcher-prise, au vaisseau fantôme. Les Chantiers navals agonisent. « Comment imaginer à cet instant que tout cela , un jour, puisse disparaître. »

Narval pressent sa vie basculer. Les aiguilles s’affolent. Tout change, Louise, sa compagne, le quitte. Ce serait s’affranchir, couper le cordon qui le retient encore un peu, dans cette ville où son cœur bat en diapason de celui de ses collègues et amis.

Le récit est olympien, calme, maîtrisé, malgré les turbulences de ce qui va advenir subrepticement. On ressent Narval attentif aux siens, à l’image de son père, mort car malade d’un trop plein de travail et d’amiante. « Je gardais les Chantiers en point de mire… Je me demande juste si après tant d’années passées aux Chantiers, on vaut quelque chose dehors. Je veux dire sur le marché du travail. »

Questionnements, l’impression d’un gâchis immense. Il est un symbole, « il n’y avait de notre part aucun défi, seulement le besoin d’ajuster le geste au métier. »

un double drame qui a pris son temps pour abattre ses victimes : la fibre. « La fibre s’élevait et retombait en pluie fine sur leurs vêtements, saupoudrait leurs mains nues, pailletant leurs chevelures. On tournait autour du mal sans le savoir. »

Asbestose. Tous, vont être malades, voire mourir à petits feux. Le tourbillon, trou noir, d’aucuns sont ici au tribunal emblématique. Entendre les responsables, craquer ses doigts, serrer les poings, larmes sur les bateaux invisibles. Veuves à milliers, fils et pères en fauteuil roulant, l’amiante, « l’héritage empoisonné ».

« Ce soir-là, j’ai écrit sur mon carnet .Il n’y aura pas de reconnaissance définitive de notre condition tant que notre parole ne sera pas jetée à la face de ce scandale. »

Christian Astolfi est un passeur, un lanceur d’alerte, car l’heure est toujours pavlovienne. Un homme-écrivain qui rend hommage à ses frères des Chantiers. Il pointe du doigt là où ça fait mal. Il dévoile une période qui s’étire en vie entière, celle du monde ouvrier et de ses plus grands malheurs. La Cause du siècle. Sociologique, la fraternité révélée, les souffrances et les lâchetés des puissants, tout ici est mémoire et urgence sociétale. Ce serait à l’instar du Rocher de Sisyphe, mais voilà Christian Astolfi prend parole et acte le combat de « Notre monde emporté ». Livre d’utilité publique, pétri d’humanité. Une chronique sociale, politique, sans colère froide. Juste dire les faits et bousculer les diktats qui perturbent le café du matin avant de franchir les Chantiers navals de La Seyne-sur-Mer. Un hymne au monde d’en bas, alors que c’est celui d’en haut pour ceux qui savent. Ce récit est un livre blanc résolument bâti. Un hommage bouleversant car humble. Publié par les majeures Éditions Le bruit du monde.

 

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