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L'élégancedeslivres
22 mai 2025

Des aiguilles plein la bouche Véronique Willmann Rulleau Éditions Signes et Balises

Des aiguilles plein la bouche

Véronique Willmann Rulleau

Éditions Signes et Balises

Ouvrir l’armoire en grand.

L’odeur, encore pour un instant, de la lavande bienfaitrice.

Le linge plié, dont les doigts ont frôlé le sacré du temps.

Puisqu’il est l’heure et l’ultime, l’histoire d’une vie, terre-mère, dont l’aura est ici.

Au cœur des généalogies emmêlées, « Des aiguilles plein la bouche », rassembler l’épars envers et contre tout.

Étendre encore, le drap sur le fil. Écouter son murmure claquer au vent. Combler ce qui fut, de ces femmes-lianes, grand-mère, mère et fille.

La matrice qui annonce la polyphonie, fille dévolue au devoir de mémoire. Chercher la réponse dans les mystères des tiroirs endormis.

Un récit mémoriel, qui vibre encore, brodé de lin, dans cette apogée où Véronique Willmann Rulleau confie son héritage à la création littéraire.

Écouter attentivement les paroles de sa maman, les dernières et les autres, d’un avant de non-dits. Les années éphéméride où le labeur et le silence, les vaines complaintes, ne se murmuraient que dans le clos du cœur.

Un mouchoir blanc, lissé, lèvres cousues. Des aiguilles plein la bouche. Puisqu’ici, seules les femmes s’expriment.

Qui de la grand-mère, la mère, la fille, l’armoire bordelaise, la penderie, excellent de confidences. Tour à tour, sans passe-passe, dans cet inné des rémanences.

Ce temps où la machine à coudre était bien plus qu’opérative. Remplir les armoires, les mains, le dos courbé par l’ampleur des tâches.

La grand-mère, siamoise, avec sa machine à coudre, une Singer, pour preuve de réussite. Les pédales émancipatrices, la fierté opérative.

L’histoire familiale commence ici. Dans cet arrière-temps sans hiver, où les évènements étaient chiffonnés comme du mauvais tissu. Cacher les trous par une broderie faussée.

Mais la prouesse ici, d’un récit doux comme de la soie.

Souvent mélancolique, parfois en colère, tant les voix sont le déroulé d’un tissu aux formes changeantes.

La mère qui veut faire de cette transmission le patchwork de sa vie.

On aime plus que tout, ces générations de femmes, entre les douleurs et les regrets, l’amertume du silence qui persiste. Taire les amours cachés au fond du placard bleu, de la penderie.

« Promets-moi que tu rangeras les armoires. Il y a aussi toutes ces boîtes dont je n’ai pas pu me séparer. »

« Seule une femme de la famille peut ranger les armoires. »

Véronique Willmann Rulleau donne le plein pouvoir des gestuelles, des regards, des arrières plans à la fille, qui avance dans l’intensité des linges immobiles, des boîtes figées, prêtent à éclore une nouvelle fois.

Elle range, trie, jette, garde, et cherche la réponse.

L’écho dans les tragédies des évidentes finitudes.

Seul le moment au plus juste d’un midi, où ses souvenirs se raccrochent au moindre signe, au moindre souffle d’une boîte ouverte fébrilement.

« Tu n’es plus là pour m’aider à admirer ces autres tentatives. Je n’ai plus de mode d’emploi. »

« Et toi, ma mère, qu’avais-tu conservé de nous, bébés, avant de commencer, quarante ans plus tard, un ouvrage avec un trousseau trouvé dans les armoires de ta mère ? »

Les secrets de famille, tresses de blé abandonnées, femmes en robe nocturne.

Une grand-mère sans les réconciliations vénérables.

Cette maison va-t-elle œuvrer au repentir ?

La fille, traverse le miroir, des aiguilles plein la bouche.

Elle comprend et ne peut acter encore le lâcher de main d’une mère.

Le deuil passe par la raison, remettre tout d’équerre, avant de s’écrouler. Revenir encore pour un temps dans ces voies de traverse. Dans ce nid de l’enfance, où seule, la féminité sait le langage d’une maison silencieuse.

Cette polyphonie qui encercle les mystères cachés dans les tiroirs, les photos en noir et blanc, autant de signes, d’interpellations et de réponses, enfin.

« Le voilà, ce poids infamie, ces secrets de famille, tous ces fantômes, et vos armoires sur les bras. »

Tout prend sens, dans cette colère de n’avoir pas su pour tous ces drames, ces hontes et ces joies enfouies entre deux linges cousus de destinées tronquées.

« Pas de draps de palace sur ce lit, mais des draps du passé. »

L’écriture ici, est un sentiment. Le déroulé mémoriel, qui œuvre au changement de lumière.

« Des aiguilles plein la bouche » est un hymne à la transmission. Pour toutes les mères du monde, aux armoires pleines de secrets.

Les filles restées sur le seuil, entre les hérédités et les passations.

« Tenir le compte, garder la main. Ta grand-mère se disait sans doute que cela ne serait pas vain. Recoudre le fil de sa vie, infini effort de combler les vides entre les points, entre les ouvrages. »

Essentiel, assigné à la beauté des repentirs.

« Que tout recommence d’une femme à l’autre. »

Poser le doigt sur le jour d’après.

Publié par les majeures Éditions Signes et Balises.

E. L.

 

 

 

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