Labeur Julie Bouchard Éditions La Contre Allée
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Labeur
Julie Bouchard
Éditions La Contre Allée
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Ville de M., le 12 novembre de l’an deux mille quelque.
« Labeur », d’une contemporanéité d’excellence, les forces actives, spéculatives et presque sentimentales. On pourrait voir un s à « Labeur » tant sa pluralité s’exprime avec talent.
Virtuose d’humanité.
Ce talisman fait briller de mille feux la ville de M., tant il tisse le vivant.
Une mise en abîme qui nous frôle et nous happe.
Ses ramifications sociologiques sont parfois intimes dans un mouvement doux, sans arrêt aucun.
Filmique, en gros plan, dans une attention altruiste à l’autre, au labeur dans toutes ses figurations, mentales et physiques.
Les pensées laborieuses, les désirs à l’instar d’efforts, dès le petit matin de ce 12 novembre si emblématique.
Ce jour, où Julie Bouchard zoom en finesse, une ville et quelques uns de ses hôtes.
Une cartographie sensible, attachante, urbaine et pudique, furieusement authentique se dessine peu à peu.
Il faut prendre le temps de faire connaissance avec les personnages.
On pourrait les rencontrer en vérité, dans les angles de nos rues, sous les porches lorsqu’il pleut, en action, prêt à céder à la société leur temps de repli.
On ne sait d’eux alors que ce que Julie Bouchard dévoile. Et c’est beau, triste, et tellement fidèle à notre ville et aux pièces silencieuses de nos antres.
L’emblème ici, dépasse tous les anonymats et c’est tellement bon de se sentir en corrélation avec de tels fragments.
L’écriture connaît chaque trait des visages. Les prononciations des contraintes.
Le travail dans toute son idiosyncrasies. Ce texte révèle le jour présent où tous, ici, du chauffeur de bus, à la caissière du supermarché, l’étudiante...Ils tissent la toile d’un chef-d’œuvre, intime de par sa magnanimité, sa clairvoyance et vaste, de par son transfert envers nous tous.
Le nous est impliqué. Julie Bouchard nous convoque, nous invite à prendre place dans cette polyphonie.
« Et vous voilà enfin. Oui, oui, vous. N’en doutez-pas, car c’est bien de vous qu’il sera ici question…. Vous avez un nom commun que vous détestez. Et une vie tout aussi commune que vous tentez d’aimer. »
« Vous êtes dans cette histoire parce que j’y suis . Évidemment. On a toujours besoin de quelqu’un pour nous inventer. »
« C’est donc de votre vie qu’il était, qu’il est, qu’il sera ici question. De votre labeur, de vos aspirations. De ce que vous avez réussi ou non à faire de vos jours. »
C’est un microcosme, des rues parallèles, des sourires qui se croisent et des heures de pénibilité dans un travail où l’on repère ce qui diffère pour s’en faire un allié, un point d’appui pour changer le décor des habitudes.
« Labeur » donc, que de chercher la soupape de sécurité, les gestuelles presque automatiques, l’heure du 12, arrêtée au cadran des tristesses et des fausses pistes.
Nous sommes ici, l’ombre et le regard, et la compassion pour les protagonistes.
Comment ne pas aimer ce chauffeur de bus, dont la retraite va sonner ce soir.
Une vie de labeur, un bus en accordéon, 110 passagers, 59 350 heures de travail,
3 200 000 passagers.
Lui, Gaston Leblanc, digne et serviable, de cesse entre asphalte et constance.
Le labeur depuis trente trois ans, sa fierté et sa solitude dans l’antre où sa femme n’est plus. Mais où son chien imite la théorie de Pavlov.
Le labeur, une respiration entre deux soupirs, les vies tirées au cordeau, sans surprise, au millimètre près des survies.
Un peu l’image d’une fleur qui perce le goudron. Le labeur entre nécessité et dépendance , un contre poids aux détresses.
« Labeur » on pourrait étreindre de toutes nos forces chacun des fragments. Des mains qui se touchent et accordent les chapitres, minute après minute de cette journée du 12.
« Toutes les semaines, à raison de trois ou quatre rencontres réparties sur sept jours les bonnes semaines, il la croise dans les corridors du 35, avenue de Paris, et s’empresse de lui tenir les portes, de la laisser passer devant lui s’il a la chance d’attendre l’ascenseur à ses côtés, de lui sourire. »
Croire pour un bel instant, pouvoir rencontrer en vérité ces gens ordinaires, nos semblables, dans l’éphéméride de l’essentialisme. « Labeur » l’ombre et la lumière, la poésie et la complainte.
Tous, ici, dans un moment ou un autre, penseront à l’un, à l’autre, aimeront l’un ou l’une.
Sauront la marche à suivre, celle du labeur qui se délave dans l’eau, tel un buvard.
Julie Bouchard veille, s’approche, nomme notre société et ses tristesses.
Ces êtres en péril, funambules sur le fil des ténacités.
« Vous habitez la ville de M. depuis onze ans, avez changé cinq fois de quartier. Vous êtes de ceux, instables, qui ont de la difficulté à trouver une place sur cette Terre, à se bâtir un nid. »
Julie Bouchard révèle les destinées, les scènes mêlées d’actes manqués. « Le labeur » l’expression même de ce qui s’agite dans les tréfonds des automatismes et des frustrations.
Julie Bouchard somme l’apothéose des hasards heureux. Féline en ce jour du 12, où les relations humaines encensent l’ordinaire.
L’émoi des petits riens, des actes manqués, des épopées parfois douloureuses.
« Labeur », à l’instar d’un silence sans nom, où la nuit cède au jour, l’inépuisable quête d’amour.
« Elle est heureuse comme une fille amoureuse depuis deux heures. »
Cet hymne polyphonique est l’intérieur de la ville de M.
Un microcosme où d’aucuns tracent le plan pour demain.
La narration des vrais gens qui déambulent dans le point commun des destinées à bâtir.
Sommes-nous nos choix ?
Tel est l’adage de « Labeur ».
L’autobiographie de la vie. Un livre qui vous prend dans ses bras.
Et surtout qui élève votre regard vers le prochain.
À noter, une magnifique couverture de Renaud Buénard, « l’œuvre d’un artiste d’une inventivité saisissante. »
Publié par les majeures Éditions La Contre Allée.
E. L.
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