Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'élégancedeslivres
15 décembre 2022

La Vierge néerlandaise Traduit du néerlandais par Arlette Ounanian Éditions Les Argonautes

https://actualitte.com/uploads/images/la-vierge-neerlandaise-marete-de-moor-9782494289024-63739d7524d88768685910.jpg

La Vierge néerlandaise

Marente de Moor

Traduit du néerlandais par Arlette Ounanian

Éditions Les Argonautes

En librairie le 6 janvier 2023

https://actualitte.com/uploads/images/la-vierge-neerlandaise-marete-de-moor-9782494289024-63739d7524d88768685910.jpg

Mon avis :

Ce livre est de grâce et de gravité. L’immensité d’une littérature sans rivalité, tant son pouvoir est grandiose.

Janna est une jeune fille de dix-huit ans qui vit à Maastricht avec son père. Ce dernier envoie sa fille en Allemagne en Rhénanie-du-Nord à Aix-la-Chapelle afin de se perfectionner dans sa passion d’escrimeuse.

Janna est missionnée d’un pli de son père, afin de le remettre en main propre à Egon Von Bötticher, maître d’armes.

Ces deux hommes se connaissent bien, trop même. Entre eux, le tumulte de la première guerre mondiale. Le père de Janna était médecin durant la guerre. Il a soigné Egon. La cicatrice sur la joue de ce dernier est sa signature.

On ressent au travers de la missive, un double langage. Les non-dits résurgence, les effluves des tranchées ensanglantées. Les regards baissés, un blessé qui s’abandonne en confiance, dans les capacités d’un chirurgien. Réparer le visible, abolir les souffrances, soulager l’enfant redevenu.

Egon, épée en main foudroie ce passé qui le dévore subrepticement. Son visage est le reflet des tourments vifs encore, et de ses troubles du comportement.

Deux hommes qui se retrouveront au préalable en janvier 1915.

« L’image idyllique que je me faisais de mon maître avant de le rencontrer s’est vite effondrée. Elle s’était formée à partir de notre album de famille. Deux hommes, l’un l’air sévère, l’autre agité. C’est moi, avait dit mon père en pointant le doigt vers l’homme sévère. Et l’autre, dont on ne distinguait que la vieille capote déboutonnée et le chapeau en fourrure, lui, c’est ton maître. »

Von Bötticher est malgré ses démons intérieurs, un homme avec des convictions et au libre-arbitre avéré. Il organise dans la grande salle immense et glacée de son domaine, des combats de Mensur, pourtant interdits par le régime totalitaire. On ressent comme un pied de nez à l’adversité. Un contre-pouvoir dans l’antre même de Raeren. Janna prend ses marques dans cet espace à la masculinité très forte. Elle s’entraîne souvent seule. Avec son maître d’armes et professeur, d’une façon très perfectionniste comme si l’enjeu même d’un combat réel était de mise. Un face à face qui va la troubler et décupler ses qualités de combattante. Elle progresse, se jette corps et âme dans l’arène. Elle glane aussi dans cette vaste demeure éloignée de tout, le mystère qui magnétise cet antre. Il y a un secret. Janna n’est pas ici par hasard. Elle est le bouc-émissaire, mais de qui ? Janna est attirée par Egon. Elle pressent une part d’ombre à apprendre de lui. Ce qui le lie à son père. Le corps enivré de désir, elle marche sur un fil ténu, sans aucune provocation, naturelle et spontanée, divinement féminine. L’initiation à l’amour peut-être, ou bien l’inaugural commencement de son aura de femme révélée.

Le récit à tiroirs est bouleversant et prenant. L’atmosphère, le magnétisme, cette capacité hors norme de produire un kaléidoscope, mouvementé et sentimental, historique et profondément humain.

Janna est troublée et déterminée dans sa gestuelle d’escrimeuse. Une guerrière-née, avide d’exutoire. Elle cherche dans chacune de ses postures d’escrimeuse à recoller les morceaux d’un puzzle dont son père tient en main la pièce maîtresse.

Ce roman est comme un film au ralenti. On aime les ombres qui se profilent et qui annoncent la teneur de ce grand livre. D’une maîtrise inouïe, on est de suite en plongée dans l’idiosyncrasie de l’entre deux-guerres, dans le réel d’une femme-enfant qui découvre l’émoi des maturités masculines. L’escrime est un rituel, une formidable passation des pouvoirs. L’identité d’un homme qui cherche la réponse à l’énigme de sa blessure. Lui, Egon qui a offert toute sa connaissance de maître d’armes pour les scènes de crime dans « Les Trois Mousquetaires ». Cet homme aux multiples facettes, dont le père de Janna le trouble encore dans cet infini des rappels pavloviens. Que vaut une cicatrice contre une blessure de l’âme insondable ?

« Ton père n’a jamais compris que mon esprit ne pouvait trouver la paix que dans la guerre. Il s’est penché pour cueillir une fleur sur la terre durcie. »

« Qu’est-ce- que c’est, un chez-soi ? »

Ce livre brillant, dévorant de perfection et de maîtrise, est tout en mouvement et pétri de sentiments. On aime les séquences, les arrêts sur image, les signaux de Marente De Moor autrice de renom. Sensuel et magnétique, une page d’Histoire, encore vive et méfiante. Cette jeune fille en métamorphose, rebelle dans sa splendeur et encore innocente. Elle, jetée peut-être en pâture, dans une histoire de grandes personnes qui ne peuvent assumer ce qui fût de ce temps de guerre. Magistral. « La Vierge néerlandaise » est traduit du néerlandais par Arlette Ounanian. Publié par les majeures Éditions Les Argonautes.

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
R
Mon 3ème séjour chez les Argonautes. Très fort, très prenant, avec une belle écriture, enveloppante, sensible et toujours juste. Le meilleur pour moi, la relation entre la jeune Janna, Egon, le maître, et Friedrich, l’un des deux jumeaux. Ce fut mon fil conducteur, et pour moi l’ossature de ce beau roman, dont j’ai regretté certaines longueurs. Je comprends que l’auteure ait voulu inscrire son histoire dans le contexte plus large de celle des années 30 en Allemagne. Cependant les « Mensur » prennent ici trop de place et alourdissent quelque peu le propos comme la portée d’un roman que je conseille malgré tout vivement tant il reste troublant.
Répondre
L'élégancedeslivres
Publicité
Archives
Publicité