Les manquants Marie-Ève Lacasse Éditions Seuil

Les manquants

Marie-Ève Lacasse

Éditions du Seuil

Mon avis :

Captivant, intriguant « Les Manquants » est un kaléidoscope familial et amical. Un drame psychologique dont le protagoniste principal est le doute, le vide, et le manque.

Ce dernier est la pièce maîtresse de ce roman sensible, attachant et triste.

Polyphonique à merveille, les miscellanées lèvent le voile.

Claire, Joan et Hélène content Thomas. Elles déposent leurs mots , un évènementiel qui frappe leurs consciences, au commissariat où elles sont convoquées après les deux ans de la disparition de Thomas, le mari de Claire.

Claire ouvre l’incipit, papier froissé. Sa vie devenue un gouffre abyssal et mille et une interrogations depuis le départ de Thomas.

Où est-il ? Que se passe-t-il ?

« Je parle trop vite ? D’accord. Oui, vous devez taper. Je vais parler plus lentement. Comment ? Non. Pourquoi on aurait refusé de venir ? Vous nous convoquez, dont on vient ».

Claire est perfectible et c’est tant mieux. De longs mois sont passés depuis cette disparition brutale et incomprise. Elle s’est sentie abandonnée, trahie, seule et honteuse. Repliée dans sa coquille, malheureuse et le radeau de Géricault sur les murs de son antre.

Lâchée par Thomas, en plein soleil d’une vie calée avec leurs deux enfants . Elle vigneronne reconvertie, venue de la ville et retrouvant les terres natales, résurgence. Lui, informaticien, énigmatique, souvent absent de par ses activités, ambiguë et secret.

En proie à un travail pour une firme internationale entre prises de risque financiers et les heures chronophages. Les spéculations d’un monde capitaliste qui broient les états d’âme.

Le paradoxe de la valeur travail. Entre Claire dévouée à la noblesse de la terre et des vignes, aux rapports loyaux avec la création et Thomas plongé dans les diktats d’un monde sans pitié. Est-ce ici que la porte s’est ouverte ?

Joan et Hélène délivrent à la police, le déroulé des amitiés depuis la fac, le lien fusionnel qui happe ces jeunes femmes et Thomas en filigrane. Elles parlent dans cette abnégation au silence. Les confidences éclatées sur les vitres des existences. Trouver dans cet exutoire oral, l’ombre de Thomas si vive encore. Témoins alliées, connaissant Thomas jusqu’au moindre sourire en coin ou mouvement des cils. Elles déroulent le fil d’avant ces deux ans d’une disparition qui a bousculé ce clan familial, amical, et la hiérarchie des constances. Socle depuis les études communes, les liens forts, les expériences lianes. Les fragilités connues telles des cartographies étalées sur les murs du commissariat.

Comprendre ce manquant. Cette symbolique du vide. Chercher la réponse dans les psychologies battues en plein vent.

Ce texte est lucide, brillant, réaliste, l’oralité au garde à vous. La trame est vivement sociologique, humaine et profonde. Claire va bousculer les codes. La distance à la douleur. Reconstruire sa vie comme elle le désire, en communauté. Lisez ce palpitant !

« A ce moment, nous étions portés par une force immémorable, celle de la terre, avec sa promesse d’infinies délices. C’était un moment si intensément heureux qu’il conférait presque à la douleur : il m’en fallait peu pour me réjouir d’être en vie, une année de plus ».

« Les Manquants » est bleu-nuit. Une lutte à la survie. Le choc des évènements, affronter le vent d’en face quoiqu’il en coûte. Un livre qui foudroie les apparences. Le masque va tomber. Apprendre à toujours se méfier à l’instar de Prosper Mérimée. Telle est la pertinence de « Les manquants ». Ce livre est immensément touchant et existentialiste. Il dévoile les carcans des identités dans la plus stricte des intimités. Sommes-nous ce que nous sommes ? Tel est l’adage de ce roman de prouesse de Marie-Ève Lacasse. Publié par les majeures Éditions Seuil.