Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'élégancedeslivres
26 mars 2024

Cette corde qui m'attache à la terre Lorina Bãlteanu Traduit du roumain par Marily le Nir Éditions Des Syrtes

Cette corde qui m'attache à la terre

Lorina Bãlteanu

Traduit du roumain par Marily le Nir

Éditions Des Syrtes

 

Prodigieux, « Cette corde qui m’attache à la terre » est d’emblée le renom.

 

« Maman, c’est le camion du KOLKHOZE qui l’avait emmené à l’hôpital, moi, papa m’a ramené à la maison sur la luge…. Et à tour de rôle, mes frères m’ont bercée sur leurs jambes. »

Les miscellanées enfantines lèvent le voile. La voix est douce, pétillante, et intelligente.

Rien n’échappe à cette petite fille qu’on aime d’emblée de toutes nos forces. Tout est oralité. Dans l’enchantement d’une écoute moldave, dans l’époque soviétique où les bouleversements attisent les braises encore vives. On ressent le poids lourd d’un temps grêlé par les affres entre l’ombre et la lumière, la résistance et les secrets enfouis.

Le récit est apprenant, solaire, au plus près des êtres qui déambulent et forgent l’idiosyncrasie d’un village en mutation et qui panse ses plaies.

Empreint de superstitions, de coutumes et d’un habitus réglé au carré, des pas feutrés, des rideaux qui se soulèvent subrepticement. Tout est de rigueur et dans un cloisonnement vif, où chacun détient un rôle, une personnalité affirmé sans plis aucun.

Cette petite fille intuitive, observe, acte et se construit une identité propre. Elle est d’histoires, d’anecdotes, de pensées et de volonté. Elle est de mythes et d’espoirs, et cherche un point d’appui pour franchir l’horizon. On aime l’esprit de géopolitique, de sciences-humaines, de philosophies et de vérité dans ce grand livre d’une histoire dont on ne lâche rien. La généalogie d’une famille, de sa terre-mère, la Moldavie, saut par-dessus ses désillusions. Elle joue à la corde à sauter avec les rais du jour. Contre-feu contre les erreurs des plus grands qu’elle. Elle est la plume et l’esprit de ce livre chaleureux, vivifiant, qui échappe par sa beauté aux caricatures.

On aime ce plongeon dans ce récit où le chant choral, par le seul pouvoir de cette petite narratrice détient un mouvement, sans arrêt aucun. Les pages se tournent, à l’instar de cette fillette grandissante. Les protagonistes sont les siens, et le scénario-même d’un arbre généalogique, qui exprime à lui-seul, la solidité d’une corde familiale. C’est ici, le règne de l’épiphanie verbale et du ballet des couleurs et des sens. « Cette corde qui m’attache à la terre » est le monde de cette enfant. Elle conte son père et sa mère, Dachia, la sage-femme, l’empreinte même, de celle par qui, tous ont été mis ou monde ou soignés. Guérisseuse,l aura du village, et celle qui veille immanquablement à chaque faux-pas dans les antres où le silence est coutumier. Ne pas faire de bruit, se lover dans le bon sens du ruisseau. Cette fillette si mature, comprend les signes et les formes et les conjugaisons subliminales. Les yeux baissés, ou les élans de tendresse. Elle devine en chacun, sa part de soleil à cueillir. Elle prend des expériences, son lot de chances pour demain. Elle raconte les gestuelles, les vindictes, et les éclats de voix, se joue de sa tante excentrique. Elle est la poésie boréale de cette trame écrite à l’encre surdouée par Lorina Bãlteanu.

« Tard le soir, moi avec mes chaussures aux lacets noués jetées sur l’épaule et papa avec mon cartable tout neuf, nous sommes rentrés à la maison comme on revient de guerre. »

On ressent une enfant prête à bondir. Elle veut vivre en grand et ne rêve que de Paris.

« Si je marche sur la route, Ivan Gueorguievitch me rattrape avec sa moto et me ramène à la maison. Il n’y a qu’une route et il sait que je ne peux partir que dans un sens ou dans l’autre, et de toute façon, il m’attrape. C’est pourquoi je ne vais que sur des chemins de terre battue, où personne ne peut t’attraper. Et personne ne te demande où tu vas. Là-dessus on marche avec une bonne raison. »

Comme un parfum dont elle ignore la senteur mais qu’elle devine salvatrice. Elle est de voyage et de rêve, d’émancipation, d’apothéose et de candeur parfois.

« Moi, j’aime tous mes rêves et je ne veux pas les mélanger avec ceux de mes frères. »

Son cheminement est un pas de plus vers son désir. On aime les litanies, les couleurs qui s’endorment sur ses doutes et ses dires à l’instar des étoiles de mer.

L’envoûtement d’un récit poétique et subtil. Ce serait comme un film à ciel ouvert. L’intimité d’un langage qui offre le plein-monde. L’acuité d’une œuvre spéculative. «  Je voudrais tellement partir que je serais d’accord pour naître encore une fois. Mais plus belle. Pour que tante Muza m’emmène à Paris. »

C’est une merveille de complétude et de fraîcheur. Une corde qui cède face aux armures mentales. Un éloge existentiel, bercé d’authenticité. Pénétrer une à une les pièces de la maison où les frontières s’effacent, les décors, comme les chapitres, et prendre la main de cette enfant si attachante. La corde liane qui enserre la terre et les êtres ensemble.

Superbement traduit du roumain par Marily le Nir. Publié par les majeures Éditions Des Syrtes.

E. L. 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
L'élégancedeslivres
Publicité
Archives
Publicité