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L'élégancedeslivres
15 mars 2024

Nucléus Zinaïda Polimenova Éditions du Chemin de fer

Nucléus

Ce qui reste, quand il n'y a plus rien

Zinaïda Polimenova

Éditions du Chemin de fer

L’écriture si poétique, vertigineuse, est le contre-feu de ce récit poignant qui traque le réel et pourvoit à la mémoire vive, avec une lucidité sans failles et un rythme politique qui ne lâche rien.

Zinaïda Polimenova est bulgare. Elle conte ici, ce qui fut de son pays en 1952 à Sofia et jusqu’aux cartographies inoubliables.

Elle rassemble l’épars, d’un plus que plausible. ZinaIda Polimenova a trouvé en chinant, un album de photos anonymes. Le hasard n’est pas. Le regard observe et la main acte l’exutoire. Elle prononce « Nucléus », cette épopée politico-prodigieuse.

La méticulosité d’une autrice sublime et touchée en plein cœur, qui donne naissance à un chef-d’œuvre. Une épopée essentielle, solidaire et charnelle. Elle reformule les battements de vérité dans un langage indépassable. Quasi sacré, car la résurgence acte ce grand livre qui vient témoigner à la barre de l’inoubliable. Puisqu’ici, il s’agit des siens, les habitants d’une Bulgarie ployée sous les affres. De nous, puisque c’est ensemble que les pages se tournent. L’union et la complicité.

« Le soir chaud enveloppe de fraîcheur / la mère se lève / le spectre doux pour fermer la fenêtre sur rue. »

Le totalitarisme est prégnant. La Bulgarie est communiste. Une dictature sournoise qui fait la chasse aux subversifs, aux anarchistes, aux intellectuels, aux ennemis d’une pensée contraire. « Nucléus » fait un zoom sur des jeunes gens, ingénieurs, architectes. Ils travaillent pour élaborer une nouvelle usine.

« Comme prévu. Le projet a été accepté. On part pour deux semaines. Sofia -Berlin – Heningsdorf, en avion, en bus, en bateau. » « L’échange est avant tout une question de solidarité. Les mondes communistes sont faits pour se rencontrer. » « La capitale est en pleine effervescence dit Müller, vous allez plonger dans le chantier de la Stalinallee. »

L’Allemagne de l’Est, les visages fermés, ce groupe d’amis soudés. Et dans cette lignée réaliste, inconditionnelle d’une amitié. L’impulsion de la prudence à chaque pas. Sauf que Theodor est surveillé. Les angles portent les ombres assassines. Il ne le sait pas. Il s’est lié d’amitié avec Emil, fils d’un artiste réputé, dont l’œuvre est censurée.

« Les habitants sont pliés, accablés. L’effet de l’architecture stalinienne, c’est ça, pensent-ils sans le dire. Le résultat est au rendez-vous. »

Emil veut sauver l’œuvre de son père décédé au front. Il a dissimulé « la précarité merveilleuse de l’image », des dessins dans des bocaux dans le sombre d’une cave. Theodor va acter le scellement. Les emmener dans une valise. Les protéger avec des vieux vêtements, quitter ce lieu. Se dire que dans de nombreuses années, il reviendra les chercher. Lorsque la liberté sera enfin au seuil de la Bulgarie. Il est piégé et arrêté. Le bouc-émissaire, un de plus sur la liste du tirage au sort. Emprisonné à Béléné dans un camp de concentration. Le travail forcé, la faim et la soif et les amis qui n’oublient pas.

« Nous savons que vous avez rapporté d’Allemagne et distribué ici du matériel de propagande antigouvernementale contre le comité central. »

Theodor ne dit rien.

« On est des bêtes, c’est l’odeur du danger. Ce charnier à ciel ouvert, cet enfer, c’est le camp de concentration de Béléné. Theodor sent son deuxième corps scintiller. »

le mal en puissance, l’immensité des engloutis, les barbelés armures, le monde en mal. Les amis règnent et se souviennent dans chacune des minutes de chaque heure de Theodor.

C’est ici, la jachère fleurie, la résistance, la vertueuse concorde qui apaise de loin Theodor. « Nucléus » le déroulé de l’Histoire et celle d’une miraculeuse amitié.

À la page 148, règne le secret de « Nucléus ». Il faut apprendre par cœur ce passage qui reformule la mission de la vie et de ses destinées. L’invisibilité comme une œuvre entre nos mains. La résistance et le génie littéraire.

Après « Eremia et Vertige de l’eau » Zinaïda Polimenova signe le renom et un devoir de mémoire incommensurable. Également publié aux majeures Éditions du Chemin de fer.

E. L. 

 

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