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L'élégancedeslivres
27 mai 2023

L'homme qui flotte dans ma tête Veronika Boutinova Éditions Le Ver à soie

L'homme qui flotte dans ma tête - Veronika Boutinova - Librairie Eyrolles

L'homme qui flotte dans ma tête

Veronika Boutinova

Roman mausolée

Éditions Le Ver à soie

L'homme qui flotte dans ma tête - Veronika Boutinova - Librairie Eyrolles

Mon avis :

Onirique, magistral, un chant tragique magnifiquement déplié.

Le macrocosme de notre humanité tremblante de pluie.

Les migrations, noria d’oiseaux noirs en plein vol dans la tourmente. Ici, elles sont au fronton des douleurs. L’exil à l’instar de l’horizon en front de mer. Une muraille gorgée d’eau cerclée de détresse. L’abandon ultime. L’échappée de soi-même, la plénitude n’est pas. Trop de courant et d’indifférence pour un lendemain où l’Homme deviendra universel.

Ce livre est un cri du cœur. Un éclat de lumière qui perce les pages sombres et intestines.

La magnanimité des bienfaiteurs qui encensent la trame et redonnent de l’espoir. La force du vent qui contre les contraires. On écoute Veronika Boutinova.

Ce texte des itinérances, des croisées est doté de plusieurs lectures, plusieurs fragments. Chacun des morceaux d’architectures est un écho en nos poitrines. Voix des migrants, voiles blancs et larmes salées. La corne de brume qui éclate en sanglot. L’électrochoc bénéfique, la parole est donnée. Ce récit est un levier qui interpelle nos consciences. Une litanie qui exauces l’honneur des migrations. Un parchemin qui pointe du doigt là où ça fait mal. Subrepticement, il démonte des diktats un à un et souffle de l’air froid sur nos arrogances et nos faillites.

Veronika Boutinova prend place.

« Un roman mausolée », un livre-somme, la vérité terriblement humaine et sinistre. Des hommes, femmes et enfants, nos frères et sœurs en humanité, qui font de leurs périples de survivance le gain des rapaces et des passeurs. Corps jetés en pleine mer puisque l’être de chair et de sang n’est plus.

Voix qui s’élèvent, ressacs et tempêtes. L’enfant qui pleure et dérange, arraché du ventre d’une mère et tel un fardeau, lancé en pleine mer. Une contrainte de moins pour le passeur criminel. Prouver toute sa barbarie jusqu’au paroxysme de l’horreur.

Les voix sont des échos. Calais perd ses couleurs. Les résistances comme des étoiles dans les yeux. Magda est ici. Elle, qui entend la voix des disparus en mer, radeau de Géricault. La Méditerranée est un cercueil qui dérive et s’enfonce sous l’intolérable. Les corps noyés, tels des oubliés de notre planète-terre.

Symbolique, puissant, viscéral et empreint d’une souffrance vive et insistante, la voix qui murmure son éloge funèbre dans la chevelure de Magda est celle du cri des fonds marins. Tous ensemble, la concorde des finitudes, ils disent leurs histoires de vie, les batailles pour survivre. Eux, devenus l’anonyme, le néant. Magda cherche l’homme qui flotte dans sa tête. Elle si fragile et pourtant endurante. « Entre ses heures de fac, Magda parfois bénévole, distribue de la nourriture, des sourires timides, des vêtements chauds, des chaussures, des tentes, prodigue des soins ou des conseils administratifs aux exilés. Nazali, lui, dépérit, hébergé dans le garage de la maisonnée de Blériot-Plage ».

Baptiste, son frère, collecte les faits, retient les dates des drames, archiviste mémoriel. « Des mots pour susciter la connaissance, observer, ausculter, disséquer, nommer, raconter, dénoncer, témoigner, sensibiliser, engranger la mémoire des faits, analyser. Je suis l’archiviste du flot migratoire, j’ancre ici tous les écrits rédigés sur les exilés de Calais et du monde entier. Je garde la trace historique ! Tu savais que c’est en 1988 à Cadix qu’on découvrait le corps du premier migrant mort noyé ? ».

« Archimède de Syracuse, le scientifique, vers 210 avant Jésus-Christ, marche et réfléchit, réfléchit et marche, traçant des lignes sur le sol de Sicile de son long bâton noueux ».

Il est la vérité, la raison, l’implacable et conte les cartographies des noyés, ce qu’il reste d’un corps jeté en pâture aux vagues et poissons. L’eau qui défigure un visage. Les ravages comme un mausolée scientifique. Les faits qui charrient les poésies, algues gluantes. Lèvres pâles et fermées, les corps devenus un fait, juste un fait, une preuve scientifique sans état d’âme.

Blériot-Plage, fourmilière où gravite l’aide humanitaire, les cachettes et les secours. Les traquenards des vils. C’est ici que Magda puise sa voix en devenir de lumière. « La confidente des noyés » Magda prononce la Babel anéantie. Épuisée par les voix dévorantes, le génocide maritime, elle cherche l’homme emblématique, celui qui parle au nom des siens. Elle voudrait pour lui, un linceul blanc, une mer sans frontières. Un cercueil où la rédemption serait alors le triomphe. Magda l’amoureuse de Nazaré qui veut rejoindre l’Angleterre et qui serre son secret contre lui. Lui, qui vit dans le garage familial. L’abri Alcazar, la grotte glacée où Nazalé trace sur les murs sa route pour demain, peut-être, pas encore, pas maintenant. Un autre jour. Ne rien dire au frère et à la sœur, fuir en silence, redevenir anonyme. Exilé pour toujours, l’amour pour Magda sera sa couverture de survie, peut-être, si tout se passe bien.

Ce texte est un phare dont le halo se fixe sur les vérités. Sur les exilés, les bénévoles, les périples de mort. Les dérives et les radeaux percés. « C’est ça le plus dur gamin. Et quand tu vois la tête d’un enfant, tu te sens submergé d’une haine pure pour le genre humain ».

L’éloge existentiel, « une langue orientalo-arabo-africo-européenne, nouvelle et inventive, enchanteresse, mélodieuse et magique, une langue métèque formidable cousue de pashto, d’ourdou, de dari, d’arabe, de tigrinya, de persan, de bengali, d’anglais, d’allemand, d’italien, d’espagnol, de français aussi un peu, d’une pincée de grec ou de turc ».

La plus belle phrase du livre : « Le migrateur est un traducteur ».

Comme le dit Archimède de Syracuse et Veronika Boutinova dans ce livre poignant : « Donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde ».

Crucial, engagé, pétri d’humanité, d’exaltante fraternité, ce livre est une polyphonie bouleversante. Une urgence de lecture. Un livre spéculatif, « L’homme qui flotte dans ma tête », est le fronton d’amour universel. Le mausolée, un chant ténébreux et essentiel, déchirant et fondamental. Un livre dont les ombres sont nos tourments pour toujours. Publié par les majeures et estimables Éditions Le Ver à soie.

 

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