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L'élégancedeslivres
1 juin 2023

Les Contemplées Pauline Hillier Éditions La Manufacture de livres

Les Contemplées - Pauline Hillier

Les Contemplées

Pauline Hillier

Éditions La Manufacture de livres

Les Contemplées - Pauline Hillier

Mon avis :

Lucide, engagé, pétri d’humanité, « Les contemplées » est un récit autobiographique à peine flouté par le jeu fictionnel.

Ce dernier, nécessaire, renforce la trame et protège les prisonnières, sœurs de combat et les Femen arrêtées en même temps qu’elle même. Toutes encerclées dans la prison pour femmes de Tunis à La Manouba.

Loin du décorum de villégiature, la farniente des cartes postales, nous sommes en plongée dans la cruauté carcérale.

Dans la démonstration d’un pays ployé sous le corpus d’une masculinité à outrance.

« Il est vingt heures et le soleil se couche sur Tunis ». L’incipit est une muselière. L’inaugurale prononciation de l’advenir de Pauline Hillier. Arrêtée pour avoir manifesté dans une ville étrangère, qui plus est : tunisienne. Le courage fracassé, la porte claque, assise à l’arrière d’une voiture qui conduit cette jeune femme dans un crescendo carcéral.

Le Pavillon D sera pour elle. Le moins pire, mais vingt-huit détenues dans un spartiate mis à rude épreuve. Une fenêtre trop étroite qui étouffe le bleu du ciel. Elle est ici. Trempée d’amertume et de sueur, apeurée et éloignée d’une France plus équitable. L’oisillon tombée du nid. Une femme prise en tenaille par la police des mœurs et des coutumes tunisiennes. Le dos courbé et les larmes silencieuses, la peur au ventre. Les humiliations des gardiennes, les fouilles au corps trop fréquentes et inutiles. Elle est démunie. Il lui faut les codes. Qu’elle apprenne et vite les règles. Celle de sa cellule où chaque centimètre est habité. « La plupart des détenues sont allongées sur leur lit, le regard vide, comme terrassées par l’ennui. Je dormirais bien quelques heures pour passer le temps mais la chaleur m’en empêche. Les pales du ventilateur ne font que brasser de l’air chaud. J’attrape le livre de voyage que j’ai été autorisée à garder avec moi, « Les Contemplations » de Victor Hugo ». Elle observe, analyse, cherche le mur porteur de cette prison. Le facilitateur, celui qui soutient la voie vers la cantine, (comprenez l’épicerie), la douche possible, et ces petits riens qui deviennent en prison des bouffées d’oxygène. Ne serait-ce que cette épingle à linge pour retenir son pantalon.

Les diktats de La Manouba sont des détonateurs. Ne rien faire qui puisse semer le trouble. Les rituels comme des soupirs, des soulagements, des havres de survie. Apprendre les carcans. Supporter les vices des gardiennes, le sadisme aux abois. Devenir alliée avec les fortes et les endurantes, les anciennes et les aguerries. Il faudra du temps au temps. Des heures décrochées des minutes pour apprivoiser le jour et la nuit. Les regards des prisonnières, toutes enfermées sans véritable jugement et encore moins de preuves. La Tunisie qui brise les ailes d’une femme adultère, qui restera en prison jusqu’à la lettre de pardon du mari, qui lui, bien-sûr, ne l’écrira jamais. Trop d’orgueil, trop de masochisme.

La jeune fille qui vient d’avoir trois ans ferme pour fuite au bac. Reniée des siens et de la société et qui pleure jour et nuit. La cellule aux vingt-huit femmes est une micro-société féminine. Ici, tout le symbole d’un pays qui oppresse l’image de la femme. Boulette de papier jetée, sans regret aucun. Les petits gestes du quotidien comme des cadeaux inestimables. Les amitiés souveraines et les confidences tristes et mélancoliques. Toutes, avec leurs meurtres, celui d’un mari violent tué à coups de couteau. Le geste de trop sur elle et l’enfant qui aura acté la case prison. « Se couvrir et se tenir correctement, toujours tout ranger, bien faire son lit, ne pas toucher à la télécommande, ni au jeu de dominos placé sous la télévision, ne pas échanger de lit, etc. Il faut être équilibriste pour évoluer entre tous ces faisceaux d’interdits sans les toucher… Mais pas question ici de tomber la chemise. C’est le sport national de La Manouba ».

la chaleur, les cafards, la promiscuité affligent les prisonnières. Mais elles résistent et la camaraderie est le pain pour la faim et l’eau pour la soif. Elle, française, féministe et avant-gardiste. Comment tenir face à l’affront carcéral ? Elle aura peu à peu des consolations. Telle celle d’une bibliothèque au fond d’un placard poussiéreux. Un bel escompte hyperbolique du futur. Un cahier et un crayon achetés à l’épicerie, en cinq minutes chrono. Une douche qui fera d’elle une étoile brillante, malgré le cafard sous ses pieds nus.

« Les Contemplées » sœurs des batailles, femmes lianes où seul le temps est complice. Qui des voleuses, tueuses, tricheuses et amantes. Elle, dont la manifestation était une bravoure, un acte sublime, vénérable et héroïque. Le risque immense d’être prise en otage, en symbole, dans ce pays où la femme est mutique et soumise.

Ce récit est l’épiphanie des endurances. La sociologie d’un pays ployé sous ses propres injustices. L’Homme avec un H majuscule, le patriarche d’un pays où lui seul à droit à la parole et assigne la femme au silence et à la soumission. Quid des erreurs judiciaires, un pas de côté et La Manouba devient leur prison à jamais.

« Les Contemplées » est salutaire, douloureux, finement politique, profondément humble. On pleure en quittant Boutheima, cette vieille femme, la doyenne, inoubliables yeux verts en amande. Les lignes de main de ces femmes, dont Pauline Hillier a raconté les fleuves et les larmes, les détresses et les amours. Du baume au cœur, conter le futur qui n’adviendra jamais.

Ce livre est d’utilité publique. Un magnifique plaidoyer pour ailes (elles). Un cri dans la nuit noire et carcérale. « Les Contemplées » l’acuité et l’intensité d’une œuvre inestimable. Un livre qui restera gravé dans le marbre de La Manouba. Publié par les majeures Éditions La Manufacture de livres.

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