Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'élégancedeslivres
10 août 2023

La Mosaïque d'Istanbul Andrija Matic Traduit du serbe par Alain Cappon Éditions Serge Safran éditeur

La Mosaïque d'Istanbul - Andrija Matic - Babelio

La Mosaïque d'Istanbul

Andrija Matic

Traduit du serbe par Alain Cappon

Éditions Serge Safran éditeur

La Mosaïque d'Istanbul - Andrija Matic - Babelio

Mon avis :

Une mosaïque qui tisse une épopée singulière qui incarne la voie de traverse. Des êtres qui gravitent dans la pleine lumière turque. Une force nous propulse d’emblée dans « La Mosaïque d’Istanbul », contemporaine, dans une région du monde empreinte de couleurs, de senteurs et de mouvements.

Istanbul en apothéose dans sa plus réelle mise en abîme, par Andrija Matic qui rassemble l’épars d’une ville emblématique.

Dalibor Stojanovic est le protagoniste principal. Le narrateur serbe qui déambule dans ce lieu manichéen, palpitant dont il cherche la raison même de son souffle.

Il est ici. En cet espace, un peu, voire beaucoup pour Minerve, une jeune turque qu’il a rencontré à Belgrade en Serbie et dont il est épris.

On ressent d’emblée un anti-héros. Un homme lisse, opportuniste, aux prises de décisions difficiles. Sans personnalité, un côté loser et profiteur, mythomane et calculateur.

« Étais-je certain de vivre à Istanbul ainsi que je le pensais ? Non. Quoique amoureux de Minerve et désireux de la revoir au plus tôt, je craignais que notre liaison ne soit que de courte durée ».

Il va subrepticement déchanter. Minerve ne peut vivre avec lui. La rencontrer au grand jour dans une Turquie clivante de par ses principes religieux. Elle est musulmane. Il est chrétien. Elle est issue d’une famille conservatrice qui la surveille. Les diktats sont prégnants. Avec pour seul soutien un peu d’argent emprunté à son père, il va vite se heurter aux disparités d’un pays et Dalibor est étranger. Il va vivre dans un antre insalubre et spartiate. Trouver du travail comme professeur d’anglais. Le rocher de Sisyphe. Loin des cartes postales colorées, symboliques d’une Istanbul paisible. Il souffre. Se sent abandonné et dans un même tempo, il va persévérer. S’infliger des rites, moins manger et faire très attention à son budget. Il va fortuitement rencontrer Evelyn, une femme beaucoup plus âgée que lui et très maline. On a l’impression d’une duperie inversée. Evelyn semble une aiguille sous une roche. On a du mal à cerner ce qu’elle cherche dans cette relation chahutée par les vulnérabilités.

La mosaïque est un kaléidoscope de la Turquie actuelle. Les manifestations contre le pouvoir vont exacerber son advenir. Dalibor se prend au jeu d’analyser les comportements, les cris et les révoltes. Evelyn est étrangère, canadienne, et travaille pour une organisation humanitaire.

« Evelyn est la femme la plus mystérieuse qu’il m’ait été donné de rencontrer. J’avais beau me décarcasser, je ne parvenais pas à comprendre pourquoi elle était avec moi, il devait y avoir une raison plus profonde que mon manque de confiance, que mon jeune corps tendu, ferme et bien fait ».

Le roman est une toile de maître. Une immersion dans un pays où le moindre écart est filature. Dalibor est un homme blessé dans sa chair. Il se devine faible et son côté machiavélique va prendre le dessus. Il fouille dans un tiroir chez Evelyn. Ouvre son ordinateur. Change de tactique et devient vil, sournois et inquiétant. Elle va le surprendre dans cette gestuelle de filou et la rupture advient, annonciatrice d’un basculement d’identité pour Dalibor.

Pour faire l’avocat du diable, elle n’a jamais assisté à l’un des concerts de Dalibor. Ce dernier joue dans un groupe et la musique englobe l’idiosyncrasie turque.

Composer et jouer en rythme est le seul point d’attache pour Dalibor avec la réalité. Il est constamment sur une fausse piste. Il est imprévisible et le complexe de l’Albatros est omniprésent. Il se prend donc les pieds dans le tapis et devient agressif. La faim au ventre, la toux complice de ses souffrances qu’il provoque immanquablement.

Evelyn et Dalibor vont se séparer.

Et là le récit devient un quasi thriller psychologique. Un roman sombre, serré comme un café fort. Dalibor est de troubles et d’espionnages. Il va se poser dans un café et observer l’immeuble où habite Evelyn. Guetter son ombre, la suivre. Chercher la faille. Il est jaloux et paranoïaque.

Le récit est superbe, réussi et implacable. La Turquie devient gémellaire de ses folies. On ressent une mosaïque semblable à la réalité. Les psychologies d’êtres qui se cherchent, affrontent leurs désirs et leurs frustrations. Il y a des notes chères à la surprise, aux émois et à la quête de soi.

C’est un roman passeur de destinées. Une histoire sensible, humaine, résolument intranquille et poignante. Dalibor est la démonstration minutieuse des turbulences intérieures et des fragilités humaines. La Turquie élève ses prismes politiques et sociologiques. Fascinant, il dévoile l’autre solitude, celle que les ombres assignent. Le tsunami des psychoses. C’est un tour de force avec un regard sensible et admirable d’un auteur né en Serbie. La plus belle phrase du livre et vous comprendrez alors la puissance de ce roman : « La mosaïque avec les musiciens ».

Après les remarquables « L’Égout» et « Burn-out », « La Mosaïque d’Istanbul » est également publié par les majeures Éditions Serge Safran éditeur. Traduit à la perfection par Alain Cappon.

Publicité
Publicité
Commentaires
L'élégancedeslivres
Publicité
Archives
Publicité