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L'élégancedeslivres
7 octobre 2023

Terre, mère noire Kristian Novak Traduit du croate par Chloé Billon Éditions Les Argonautes éditeur

Terre, mère noire, de Kristian Novak - L'Or des livres

Terre, mère noire,

Kristian Novak

Traduit du croate par Chloé Billon

Éditions Les Argonautes éditeur

Terre, mère noire, de Kristian Novak - L'Or des livres

Mon avis :

« Terre, mère noire » est un chef-d’œuvre grandiose, émouvant. L’immensité d’une terre en proie à ses tourments. Le mal fait homme. La beauté d’une traduction de Chloé Billon, empreinte de virtuosité et de mimétisme.

Un texte inoubliable, la conscience de lire la proclamation du renom.

Ainsi, la terre, mère noire, pénètre en nous subrepticement. La Yougoslavie (encore pour un temps), glisse immanquablement vers ses déchirures, ses illusions et ses affres.

Les entrelacs sont les bordures de ce pays. La voix du narrateur, perfectible, part et revient sur ses pas. Il faut lire doucement, s’imprégner d’un récit qui nous colle à la peau et transcende la lecture. L’heure capable d’accomplir le pouvoir de la littérature.

Kristian Novak rassemble l’épars. L’épicentre du roman se situe dans un village du Medjimurje, où une série de suicides a semé le trouble en 1991. Matija est un auteur à succès qui vit une relation, avec Dina Gajski depuis un an. Cette dernière aimerait comprendre pourquoi Matija est mythomane et fabule beaucoup. Les mensonges comme des chapes de plomb, elle se sent mal. Il édulcore son enfance, s’invente des témoins de son passé. Dina pressent en lui l’ombre et le secret. Elle aimerait une parole honnête et libérée. Reçoit en échange des confidences faussées. Matija est un homme blessé dans sa chair et il va jouer son atout. Ouvrir la porte et souffler sur les braises avec une lucidité indépassable. Un fleuve qui charrie l’irrévocable, les déchirures, et les fantômes qui ne cèdent rien au passé.

« Tu as appris à mentir sur ce dont tu ne voulais pas te souvenir. C’est notre faute à maman et moi… Il faut que tu comprennes que même si tu écris des centaines d’histoires dont tu es heureux et satisfait, ton obsession pour l’écriture ne se réglera pas ».

Son père décédé lors de ses cinq ans. Le poids du doute et de la culpabilité sur son cœur, l’enfant se referme dans un monde imaginaire. Cache les morsures du deuil. Un pays qui va se déchirer en mille morceaux. La Milice, ombre noire, un corbeau sur le toit d’un village opprimé, la délation aux abois.

Sa mère se doute. L’enfant fait des cauchemars. Les paravents tombés, le regard perdu, Matija dessine pour son père, des douleurs gorgées de sang, et va les déposer sur sa tombe. Larmes mélancoliques, blessées. L’exutoire dans une névrose qui est siamoise de cette « Terre, mère noire ». Le roman est l’humanité qui tremble sous les pas d’un peuple en misère affective. La résistance cachée, d’aucuns comprennent que tout va changer.

Comment ce jeune garçon qui, dans sa paranoïa parle à Épièt et Bolat. Monstres ou doublures de ses angoisses. « Merci, dit Bolat sur un ton plaintif, merci de nous avoir appelés, on n’a pas le droit de sortir du noir si on ne nous appelle pas ».

Que dire de camarade institutrice qui sait nommer ce qui se voit, jusqu’au murmure des lèvres de Majita. Lui, chahuté par les gamins. « « Chaque fois que la camarade institutrice ouvrait le placard contenant les jeux, c’était comme si elle nous plongeait dans la vie d’un enfant très pauvre ».

Sa vulnérabilité est un cadeau pour les gosses du village. Ses détresses comme la terre noire. « Ton papa – il soupira et poursuivit plus lentement et plus bas – était un homme bien, et la milice n’avait aucune raison de l’arrêter. Nous les Medjimuriens, nous sommes des gens honnêtes. Tu comprends ? ».

« La rage dans la boîte passait dans la terre noire ».

Ce livre, l’épopée d’un village où les suicides devenus des peurs infinies, où les profondeurs de la douleur sont assignées à la Mère, terre-noire. La Croatie devenue en pages finales comme un souffle qui annonce le recommencement, mais en mieux, et en réconciliation avérée. La fiction reine, une traductrice qui laisse la terre noire renommer le passage des exactitudes. Kristian Novak délivre la langue humaine, la chair noire d’un peuple chaviré par le désastre. La Croatie récompensée par un livre qui sonne le glas de ce temps sans possible délivrance. Envoûtant, adapté au cinéma par Rok Bicek, unique, engagé, finement politique, il est de droiture et de justesse.

Un livre culte, un premier roman qui dépasse largement ses grands frères. Essentiel et universel, le passeur du verbe. Comment tout dire  avec « Terre, mère noire ». Publié par les majeures Éditions Les Argonautes éditeur.

 

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